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Chronique d’un mort annoncée

  • Photo du rédacteur: Ariane Plaisance
    Ariane Plaisance
  • 5 mars
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 mars

Le 18 février 2025, le rapport 2018-2023 de la Commission sur les soins de fin de vie a annoncé que le régime québécois des directives médicales anticipées (DMA) n’est pas fonctionnel et que son impact est presque inexistant. Toutefois, la Commission a indiqué ne pas être en mesure d’apporter des explications. Or, dès son adoption, le régime des DMA faisait l’objet de critiques par des experts du droit dont je vous expose les principales. 



Présomption d’aptitude à consentir aux soins


La Loi concernant les soins de fin de vie indique que : 

Toute personne majeure et apte à consentir aux soins peut, au moyen

de directives médicales anticipées, indiquer si elle consent ou non aux

soins médicaux qui pourraient être requis par son état de santé au cas

où elle deviendrait inapte à consentir aux soins.


Selon les critères identifiés par la Cour d’appel dans l’arrêt de principe Institut Philippe Pinel de Montréal c. A.G.85, l’aptitude à consentir aux soins nécessite de déterminer si la personne 1) comprend la nature de la maladie pour laquelle un traitement lui est proposé, 2) comprend la nature et le but du traitement, 3) saisit les risques et les bénéfices du traitement et 4) comprend les risques de ne pas subir le traitement. Il faut également se demander si 5) la capacité de compréhension de la personne est affectée par une maladie. Or, le régime des DMA prévoit deux moyens de compléter des DMA :  seul devant deux témoins ou avec un notaire, ce qui ne garantit nullement que la personne soit apte à consentir aux soins. Dès 2015, Me Danielle Chalifoux, avocate en droit de la santé et présidente de l'Institut de planification des soins du Québec, a soulevé cette problématique en écrivant : 


D’après la Loi concernant les soins de fin de vie, un tribunal peut annuler des directives médicales anticipées s’il estime que leur auteur n’était pas apte à consentir aux soins au moment de leur signature. Or, puisqu’il a été établi que la notion d’aptitude à consentir aux soins équivaut à « réussir » le test en 5 étapes (Arrêt Institut Philippe-Pinel c. G.(A.), 1994 )et puisque cette aptitude se présume, comment le tribunal s’y prendra-t-il pour « remonter dans le temps » et faire l’évaluation de ce test au moment où la personne signait ses directives?



Selon une analyse de Mariève Lacroix et Audrey Ferron-Parayre, professeures à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa publiée en 2018 dans la Revue du notariat, bien que l’aptitude à consentir soit présumée dans le cadre des DMA, des contestations judiciaires concernant l’aptitude du signataire des DMA ne sont pas impossibles, bien qu’inexistantes au moment de leur analyse. 


Par rapport à la présomption que les décisions sont éclairées, la Loi indique : 

L’auteur des directives médicales anticipées est présumé avoir obtenu

l’information nécessaire pour lui permettre de prendre une décision éclairée au

moment de leur signature.


Selon la Cour d’appel, un consentement libre et éclairé répond à trois critères :


le patient doit être informé par son médecin de sa condition de façon à prendre une décision en pleine connaissance de cause; le patient doit être capable de recevoir et de comprendre l’information; et enfin, le patient doit être en mesure de prendre une décision et de l’exprimer.


Ainsi, le consentement éclairé aux soins requiert une transmission d'informations par le médecin responsable du patient, qui a un devoir de renseignement envers celui-ci.


Difficulté de prendre des décisions hypothétiques


Comme l’illustrait dès 2016 Me François Dupin avocat et ex-procureur du Curateur public du Québec : 

se projeter dans le futur pour une inaptitude toute éventuelle dont on ne connaît ni encore les causes ni les effets, puisque l’on est ordinairement en bonne santé au moment de sa rédaction, telle projection relève quelque peu de la science divinatoire . Ce flou rendra fort probablement plus difficile l’application des DMA par les professionnels de la santé, qui hésiteront sûrement à les suivre lorsqu’un grand écart sépare leur rédaction et le moment où le patient est devenu inapte. 


En effet, de l’aveu même des médecins à qui la loi incombe de consulter le registre des DMA lorsqu'ils sont responsables d’une personne en situation d’inaptitude, les décisions inscrites dans les DMA n’ont aucune valeur clinique pour eux. Dès lors, tenter de consulter le registre en contournant les pare-feux des hôpitaux et en se connectant sur une énième plateforme pour finalement accéder à un document inutile n’est bien sûr pas une option. 


Les DMA ne s’appliquent que devant des situations d’inaptitude permanente


Les situations décrites dans les DMA sont des situations de fin de vie où, selon le jugement clinique des médecins palliatistes, les soins de maintien des fonctions vitales mentionnés dans les DMA n’ont pas lieu d’être offerts dans la plupart des cas. Fait intéressant et troublant, pour des urgentologues et des intensivites, vouloir à tout prix respecter les DMA pourrait vouloir dire offrir des soins s’apparentant à de l’acharnement thérapeutique. En effet, pour pouvoir constater que le patient se trouve réellement dans une situation d’inaptitude telle que décrite dans les DMA nécessiterait d’intuber le patient, de le maintenir en vie jusqu’à ce qu’on ait fait les tests appropriés. Cela pourrait prendre plusieurs jours et impliquer plusieurs spécialistes.


Une loi qui fait fi des connaissances scientifiques


Des dizaines d'études scientifiques rigoureuses publiées bien avant la Loi concernant les soins de fin de vie qui a créé les DMA indiquent que la planification anticipée des soins (concept dont font partie les DMA) a très peu d'impact sur le respect des préférences en fin de vie. Selon le Dr Sean Morrison, professeur au département de gériatrie et de médecine palliative à New York, pour que la planification anticipée des soins ait un certain impact, il est nécessaire que : 


  1. elle soit réalisée à l'intérieur d'un programme porté par une entité forte qui assure, entre autres, la formation du personnel, la sensibilisation des usagers et la transition des documents entre les milieux de vie et de soins ;

  2. plusieurs discussions aient lieu entre des professionnels de la santé et la personne concernée tout au long de la trajectoire de fin de vie ; 

  3. de s'assurer que la personne soit apte à consentir aux soins et 

  4. de s’assurer que la personne ait reçu toute l’information nécessaire par rapport à sa maladie et aux risques et bénéfices de refuser ou d'accepter les interventions proposées pour faire des choix éclairés. 


Irrévocablement, le régime des DMA ne répond à aucun de ces critères. 


Ainsi, dix ans après l’adoption des DMA, force est de constater que les experts qui en ont critiqué les fondements avaient raison. Tel que mentionné par la Commission sur les soins de fin de vie en février 2025, l’impact du régime est quasi inexistant. 


Devant cette mort annoncée, une question cruciale se pose : que faire des 149 143 Québécois qui, en date du 30 mars 2024, avaient enregistré des DMA ? Pire encore, que faire des 38 082 Québécois qui ont payé un notaire pour que leurs DMA soient notariées ? Seront-ils remboursés ? Recevront-ils une lettre leur indiquant que leur démarche a été vaine ? Ces personnes, je les rencontre régulièrement lorsque j’offre des conférences grand public ; mes collègues médecins les rencontrent dans les hôpitaux, aux CHSLD et à domicile. Ces personnes, elles se croient protégées, elles croient que leur fin de vie est réglée comme si la planification anticipée des soins était l’équivalent de faire un testament…


 
 
 

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