Une expansion rapide au nom de la Charte canadienne des droits et libertés
- Ariane Plaisance
- 23 mars
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 mars
Dix ans après la légalisation de la mort médicalement assistée au Canada, des experts du monde entier pointent le Canada comme contre-exemple en matière d’encadrement de la pratique. Le groupe de défense des libertés civiles de la Colombie-Britannique qui a été à l'origine de la dépénalisation de la mort médicalement assistée en 2015 avertit maintenant qu'il est devenu trop facile d'obtenir l’aide médicale à mourir (AMM) au Canada et demande que le gouvernement mette en place des mesures de protection. Qu’en est-il du Québec qui est désormais en tête mondialement en termes de décès par AMM (7,3 %), surpassant des pays où cette pratique est légale depuis des décennies, comme les Pays-Bas et la Belgique?
Usage d’un euphémisme pour augmenter l’acceptabilité sociale
L’adoption d’un euphémisme pour nommer ce qui est appelé en Europe euthanasie était motivée par le fait qu’il était alors illégal, selon le Code criminel canadien, de mettre fin à la vie d’une autre personne. En définissant la pratique de l’euthanasie comme un acte médical, il était possible pour Québec d'agir pour que l'euthanasie soit du ressort de la province, puisque les soins médicaux sont de compétence provinciale. En outre, il y avait plus de chances que le public accepte une pratique nommée « aide médicale » qu’« euthanasie », d’autant plus que la population semblait déjà confuse par rapport aux diverses pratiques de fin de vie. Dix ans plus tard, force est de constater que la population est effectivement confuse. En effet, des études tant quantitatives que qualitatives ont démontré que la population québécoise confond les différentes pratiques de fin de vie telles que le refus ou la cessation de traitement, les soins palliatifs et la sédation palliative continue avec l’aide médicale à mourir. Cette confusion serait exacerbée par des facteurs socio-économiques. C’est à se demander si les Québécois sont largement favorables à l’euthanasie ou bien à toutes formes d’aide médicale pouvant réduire la souffrance en fin de vie? Il est dommage de constater que la France semble suivre le Québec dans l’usage de cet euphémisme plutôt que ces voisins européens.
Une expansion rapide au nom de la Charte canadienne des droits et libertés
Quelques mois après l'adoption de la loi québécoise, le reste du Canada a autorisé l'AMM (qui inclut le suicide assisté dans le reste du Canada). Cette légalisation a suivi le jugement historique Carter. Dans ce jugement, la Cour suprême du Canada a jugé que la loi interdisant la mort médicalement assistée violait l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, en limitant le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.
Peu de temps après, des procédures ont été intentées par deux personnes handicapées qui ne faisaient pas face à une mort imminente ou raisonnablement prévisible contre le procureur général du Canada et celui du Québec. Avec leur avocat, Me Jean-Pierre Ménard, elles soutenaient que les critères d'admissibilité à l'AMM étaient inconstitutionnels et contraires à la Charte canadienne des droits et libertés. Dans sa décision de 2019, la juge Christine Baudouin de la Cour supérieure du Québec a conclu que les critères fédéraux et québécois violaient tous deux la Charte. Elle a invalidé ces dispositions des deux lois, dans une décision qui a pris effet six mois plus tard, en mars 2020, ouvrant la porte à de futures expansions des critères d’accessibilité à l’AMM au Canada concernant les critères d'admissibilité.
Levée de l’exigence du consentement final: ouverture vers les demandes anticipées

Adopté en mars 2021, le projet de loi C-7 permet aux personnes admissibles à l’AMM qui risquent de perdre leur capacité à consentir aux soins de renoncer à l'exigence du consentement final au moment de l’injection par le biais d'un accord écrit avec leur professionnel de la santé. Cette loi a ouvert la porte à la possibilité que l’AMM soit donnée sur la base d’un consentement anticipé, alors qu’auparavant, la personne devait être en mesure de donner un consentement contemporain.
Enfin, le 30 octobre 2024, les demandes anticipées d'aide médicale à mourir (DAAMM) ont été légalisées au Québec, et ce, malgré une législation fédérale qui les interdit. Le Québec a décidé de contourner la législation fédérale en demandant au directeur du bureau des poursuites criminelles et pénales de la province (DPCP) de ne pas punir les professionnels de santé qui pratiquent l'AMM conformément à la loi provinciale. Pour déposer une demande anticipée d’aide médicale à mourir, la personne doit être atteinte d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude, être apte à consentir aux soins au moment de la demande. Déjà, des discussions avec des professionnels de la santé laissent entrevoir que le fait que la maladie doive mener à l’inaptitude sera débattu. En effet, est-ce qu’un premier AVC peut justifier une DAAMM? Est-ce que la schizophrénie qui peut entraîner l’inaptitude peut justifier une DAAMM, et finalement, la vie elle-même n’est-elle pas une maladie mortelle pouvant mener à l’inaptitude?
Parce que les décisions des tribunaux canadiens peuvent être interprétées comme associant l'aide médicale à mourir à un droit et qu'il est maintenant permis de donner la mort à une personne inapte, aucune limite n'existe qui puisse empêcher le Canada et surtout le Québec de pousser toujours plus loin l’euthanasie. Jusqu'où cette expérience sociale à laquelle nous n’avons pas consenti de manière libre et éclairée nous mènera-t-elle?
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