Une invitation à repenser le mourir
- Ariane Plaisance
- il y a 6 jours
- 3 min de lecture
Dans nos sociétés modernes, la mort a rapidement été reléguée aux coulisses, retirée de la

scène collective, enfermée dans les murs aseptisés des hôpitaux ou autres milieux de soins. Nous ne mourons presque plus chez nous, entourés des nôtres, mais bien souvent dans un lit médicalisé, entourés de machines, de protocoles, et de professionnels du soin.
Cette nouvelle réalité résulte d’un double mouvement soit : l’essor du progrès scientifique d’une part, et l’effacement de la religion de l’autre; mouvements qui furent des plus rapides au Québec. Autrefois terrain du sacré et de la symbolisation, la mort est désormais devenue un objet médical, une expression de la liberté individuelle. Si cette médicalisation offre un réconfort et plait à l’esprit, elle ne va pas sans changer notre vision du monde.
La mort, sous le scalpel de la science
Le projet médical moderne, animé par la quête de maîtrise, de contrôle, de performance et de choix individuels ne laisse que peu de place à l’inconnu et donc à la mort. Même les soins palliatifs, censés réhabiliter une approche plus humaine de la fin de vie contribuent à la médicalisation de la fin de vie et de la mort alors que les gestes techniques et les protocoles se multiplient.
Une société qui a perdu ses rituels
La disparition progressive des rites religieux dans l’accompagnement du mourir a laissé un vide symbolique immense. Là où autrefois la mort était balisée par des prières, des veillées, des gestes qui donnaient sens et structure à l’événement, il ne reste souvent que des décisions de niveaux de soins, des consentements à refuser un soin vital, des protocoles hospitaliers, une salle impersonnelle d’où le corps est retiré aussitôt le décès prononcé, une cérémonie personnalisée en présence des cendres, mais de moins en moins du corps. Le mourant, autrefois passeur et témoin d’une mémoire collective, devient un problème à résoudre : on n’a pas vraiment le temps de veiller nos morts, il faut être productif, je travaille demain et les enfants ont de l’école!
Réinvestir l’humanité du mourir
Et pourtant, il y a encore de la vie dans le mourir. La fin de vie, aussi fragilisée soit-elle, peut être le théâtre d’instants puissants : une musique qui éveille une mémoire, une main posée sur une joue, une parole dite à temps. Il y a du sens dans un anniversaire fêté sur un lit d’hôpital, dans une visio avec des proches lointains, un moment de communion entre frères et sœurs. Le mourant n’est jamais qu’un « patient » ou un « corps mourant » : il reste père, mère, ami, amoureux. Il continue d’exister dans le regard des autres, dans le lien social, dans la mémoire qu’il partage encore.
Une invitation à accueillir la mort ordinaire
C’est ici que le concept de « mourir ordinaire » — ordinary dying —, défendu par la Dre Kathryn Mannix, prend tout son sens. Cette approche nous rappelle que la mort n’a pas toujours été ce drame médicalisé, ce moment hors norme à contrôler à tout prix. Mourir, dans sa forme la plus simple, peut être un processus naturel, calme, accompagné, loin du chaos des urgences ou de l’acharnement thérapeutique. Le mourir ordinaire est ce temps où l’on veille, où l’on parle, où l’on respire encore ensemble, où les symptômes sont soulagés sans effacer la personne. Il invite à déspectaculariser la mort pour mieux en restaurer l’humanité. Selon Dre Mannix, la dernière génération de personnes ayant vu la mort ordinaire en Occident s’apprête à disparaître. C’est tout un savoir qui disparaîtra avec elles.
Et si, au lieu de supprimer toute souffrance avec l’aide médicale à mourir ou même les soins palliatifs, on osait aussi regarder le mourir comme une expérience riche, sociale, symbolique, et profondément humaine ?
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